Etude des besoins FRIJUNE

Analyse des besoins de promotion de la santé et de prévention pour la population migrante pour les cantons de Fribourg, de Neuchâtel et du Jura

Le Programme national Migration et Santé a, entre autres, pour but de favoriser une prise en compte systématique des facteurs liés à la migration dans les programmes de prévention et promotion de la santé (PPS), lors de la planification, de la mise en oeuvre et de l’évaluation des mesures. Cette démarche s’inscrit dans une visée plus générale destinée à établir l’égalité des chances d’accès en matière de santé1 pour l’ensemble de la population.

Mandat et objectifs

Dans ce cadre, les cantons de Fribourg, du Jura et de Neuchâtel ont mandaté le Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM) de l’Université de Neuchâtel pour mener une étude afin d’évaluer dans quelle mesure les offres générales de PPS permettent de toucher la population issue de la migration. Cette recherche, soutenue par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), a eu lieu entre août 2011 et mai 2012 dans les trois cantons en question. Concrètement, il s’agissait de dresser un état des lieux des bases légales ou conceptuelles et des mesures promues en la matière. Les objectifs spécifiques de l’étude, inspirés de ceux proposés par OFSP, consistent à identifier les barrières que peut rencontrer la population migrante dans l’accès à l’offre et à générer des connaissances pour développer des programmes de PPS mieux adaptés à ses besoins. Après discussion avec les responsables cantonaux, cinq programmes ou domaines ont été retenus pour l’analyse : 1) alimentation et activité physique (poids corporel sain) ; 2) prévention de la consommation excessive d’alcool ; 3) prévention du tabagisme ; 4) dépistage du cancer du sein ; 5) promotion de la santé mentale (notamment à Neuchâtel). Le degré de formalisation de ces programmes, leurs bases légales et conceptuelles, leur avancement et le nombre de projets mis en oeuvre diffèrent passablement d’un canton à l’autre, mais aussi selon les domaines retenus.

Méthodes et défis rencontrés

Dans une première étape, une analyse quantitative sommaire du profil socio-démographique de la population issue de la migration a été établie, dans chaque canton et confrontée aux résultats d’une brève revue de la littérature récente en Suisse concernant l’état et les comportements de santé de la population issue de la migration en Suisse. Ensuite, un inventaire des bases légales et de l’état des programmes ou actions a été dressé pour obtenir une vue d’ensemble des acteurs et mesures dans ce domaine (il est documenté de manière détaillée dans une série de tableaux se trouvant en annexe du rapport). Simultanément, 35 entretiens d’experts avec des responsables de la santé, des intervenants, chefs de projets et autres observateurs privilégiés ont été menés, de même que deux entretiens individuels et trois groupes de discussion avec des personnes issues de la migration, y compris des interprètes socioculturels ; plusieurs échanges avec les déléguées de PPS des trois cantons ont également eu lieu. Toutes ces sources d’informations ont ensuite été triangulées et analysées en fonction d’une grille d’analyse établie sur la base de critères et d’instruments recommandés dans l’appel d’offre de l’OFSP ; ces critères s’attachent aux différentes étapes de la conception et jusqu’à l’évaluation des programmes ou projets. Notre souci constant de nous intéresser, au-delà des déclarations d’intention, à la mise en oeuvre des programmes s’est confronté à plusieurs défis liés, d’une part, au fait qu’à ce stade, peu d’efforts ont expressément été entrepris pour atteindre la population migrante. Par conséquent, peu d’intervenants avaient suffisamment d’expérience pour se prononcer en connaissance de cause sur les besoins, les obstacles et les ressources en matière d’ouverture transculturelle. D’autre part, peu de migrants étaient en mesure d’apprécier les programmes et projets de PPS, faute de connaissance ou de recul suffisant. Enfin, des évaluations de besoins ou de projets ciblés, sur lesquels les chercheurs et leurs interlocuteurs auraient pu prendre appui font encore défaut. Par conséquent, l’approche délibérément large – cinq programmes à des phases d’avancement divers, avec nombre de projets – a, nécessairement, dû privilégier des éclairages exemplaires de lacunes ou difficultés rencontrées par les projets. Il convient de souligner que la sélection de ces projets n’ambitionne aucunement d’être systématique, exhaustive ou même de tenir lieu d’évaluations rapides. Ces exemples servent essentiellement à illustrer les défis récurrents dans la pratique de l’ouverture transculturelle de façon plus générale.

Population issue de la migration et (comportements de) santé

En l’absence de bases cantonales d’épidémiologie sociale, quelques indications générales concernant la population issue de la migration peuvent orienter certaines démarches de PPS. Si Neuchâtel a connu, dès les années 1970, une proportion importante de résidants étrangers en comparaison nationale et s’est rapprochée de la moyenne suisse en 2009 (24% resp. 22%), Fribourg a assisté à un développement inverse avec une augmentation considérable de sa population étrangère, à la fois en termes absolus et relatifs, même si le canton enregistre toujours un taux inférieur (18%) au niveau suisse, mais supérieur à celui du canton du Jura (12%). Dans les trois cantons, plus des deux tiers de ces ressortissants viennent de l’Union européenne, avec le Portugal en tête pour Fribourg et Neuchâtel, tandis que la France, l’Italie et l’Espagne sont également des pays de provenance importants. Parmi les pays hors UE, le Kosovo, la Serbie, la Macédoine, la Turquie et la Bosnie et Herzégovine font partie des dix premières nationalités. Globalement les hommes sont plus nombreux, notamment parmi les Portugais et les ressortissants d’un pays tiers (non-UE). Les communes qui connaissent les plus fort taux de population étrangère sont Courtepin (37%), Fribourg (34%) et Romont (32%) ; Peseux (33%), Neuchâtel (32%) et La Chaux-de-Fonds (29%) ; Delémont (24%), Bassecourt (18%) et Courrendlin (17%). Parmi les enfants nés en 2010 d’une mère mariée, 36% ont deux parents suisses à Neuchâtel, 48% à Fribourg et 54% dans le Jura2. La durée moyenne de résidence est généralement moins élevée pour les ressortissants non-communautaires que pour les citoyens de l’UE. En extrapolant les données d’épidémiologie sociale, disponibles seulement au niveau suisse3 on peut, concernant quelques collectivités migrantes, évoquer les situations ou facteurs de risque suivants par rapport aux programmes retenus. Comparée à la population suisse, l’obésité et, dans une moindre mesure, le surpoids sont nettement plus fréquents parmi les collectivités portugaise, serbe, kosovare et turque, notamment chez les femmes. Ces mêmes collectivités pratiquent aussi plus rarement une activité physique et mangent moins de fruits et de légumes. Le taux de fumeurs quotidiens est significativement plus élevé parmi les collectivités serbes et turques, de même que parmi les hommes portugais et kosovars. En revanche, les migrants de plusieurs origines nationales ont globalement tendance à boire moins d’alcool, ou à présenter des taux d’abstinence plus élevés que les résidents suisses, si ce n’est que la consommation modérée, mais journalière, est nettement plus fréquente chez les hommes portugais et italiens. Plusieurs spécialistes interviewés confirment cette tendance générale. Les femmes kosovares, serbes, d’Europe de l’Est et de pays extra-européens participent dans l’ensemble moins au programme de dépistage de cancer du sein que les Suissesses. Les troubles dépressifs et consultations psychothérapeutiques sont notamment plus fréquents chez les femmes portugaises, serbes et dans la collectivité turque (hommes et femmes). Une vulnérabilité particulière en termes de santé mentale, mais aussi en ce qui concerne des comportements addictifs est, finalement, documentée pour ce qui de la population du domaine de l’asile, qu’il s’agisse des Somaliens ou Sri Lankais interrogés dans le monitoring sur la santé des migrants ou pour d’autres nationalités, selon de nombreux témoignages récoltés au cours de l’étude.

L’égalité des chances : des principes à la pratique

En ce qui concerne le cadre légal et la conception des programmes ou actions, la politique adoptée dans les trois cantons fournit les bases pour développer des activités (futures) afin de mieux prendre en compte l’égalité des chances de la population migrante (cf. figures et tableau en annexe Error! Reference source not found.). Dans les programmes, cette dernière est considérée explicitement ou du moins de façon indirecte – par sa frange la plus vulnérable – comme une composante importante du public cible. En revanche, en ce qui concerne la concrétisation des dispositions – par une analyse de la situation, des stratégies et des moyens alloués – peu de démarches pratiques n’ont à ce jour été entreprises. Ceci est plus particulièrement vrai dans les cantons de Neuchâtel et du Jura qui considèrent la présente étude comme un état des lieux préalable et, en quelque sorte, un point de départ, compte tenu du fait que plusieurs programmes sont encore en cours d’élaboration. Dans les cantons de Fribourg et Neuchâtel, il existe une série d’initiatives dans le domaine de l’intégration et de la santé – s’adressant soit essentiellement à la population issue de la migration, soit à certaines collectivités – qui constituent une source intéressante d’inspiration pour l’adaptation des programmes généraux. Même si ces projets n’ont pas fait l’objet de la présente étude, ils constituent de petits « laboratoires », sous forme de projets pilotes, susceptibles de produire de nouvelles connaissances dans un domaine où les recettes tout prêtes font notoirement défaut. En ce qui concerne la prise de conscience des acteurs et intervenants engagés au sein des programmes ou externes concernant la nécessité d’une ouverture transculturelle de l’offre de PPS, elle est très variable. Certains interlocuteurs sont parfaitement bien informés et très sensibles à la problématique, d’autres plus sceptiques, considérant qu’un effort d’adaptation doit venir de la part des migrants plutôt que de l’offre. Bien qu’un climat de politique d’intégration, qui met l’accent sur la notion de « encourager et exiger » (Fördern und Fordern)4 peut être interprété comme allant à l’encontre des mesures préconisées – comme cela a été fréquemment évoqué –, la réticence de certains intervenants de terrain traduit davantage un manque de connaissances et de moyens pour entreprendre des démarches supplémentaires qu’un refus de principe d’une meilleurs prise en compte de la population migrante. En revanche, la tension entre priorités des politiques migratoire et de santé est, selon nombre de témoignages, particulièrement saillante dans le domaine de l’asile.

Défis par rapport à l’accessibilité et l’acceptabilité de l’offre

Parmi les obstacles d’accès aux offres de PPS, nous avons identifié quatre types de défis principaux sur la base des entretiens avec les spécialistes et avec les migrants rencontrés. Tout d’abord, la langue reste pour certaines collectivités migrantes une barrière réelle, notamment quand il s’agit de primo-arrivants ou de personnes qui, pour d’autres raisons, n’ont pas eu l’occasion d’apprendre une langue nationale. Notamment dans les domaines où il s’agit de transmettre des informations factuelles, la mise à disposition et la distribution de traductions constituent un atout réel, même si ces démarches ne sont pas suffisantes. Actuellement cette démarche est loin d’être systématique, qu’il s’agisse de documents écrits, d’informations en ligne ou autres. Dans le même ordre d’idées, l’interprétariat communautaire est encore peu utilisé dans le domaine de la PPS. Les obstacles financiers et institutionnels semblent, dans les deux cas, plus déterminants que le manque de personnes qualifiées pour assurer ces traductions. Liée à la dimension linguistique, « la culture » joue finalement un rôle bien moins important que le discours médiatique courant, soulignant « la différence culturelle » de certaines collectivités migrantes, ne pourrait le laisser attendre. S’il convient d’être attentif à certaines situations assez particulières, quand il s’agit, par exemple du rapport à la nudité ou à la consommation de certaines substances (tabou de l’alcool), aucun obstacle majeur n’a été identifié de manière générale. Il est, en revanche, probable que les campagnes médiatiques ne peuvent pas ignorer cette dimension subtile qui va à l’encontre du succès des campagnes simplement « traduites » (sans être adaptées) de l’allemand dans les autres langues nationales ; une problématique bien connue dans le canton bilingue de Fribourg. Certaines préférences socioculturelles par rapport aux moyens et aux canaux de communication ont également été relevées, par exemple, en termes d’approches individualistes versus plus collectives (c’est-à-dire ciblées essentiellement sur les individus directement concernés ou, au contraire, sur des familles élargies). Il s’est, par exemple, révélé utile de ne pas destiner l’information concernant le dépistage du cancer du sein qu’aux seules femmes de certaines collectivités migrantes, car leur partenaire et leurs enfants adultes jouent un rôle de multiplicateur important. L’influence relevant de la culture codifiée par l’appartenance ethnique, nationale ou religieuse tend parfois à être confondue avec celle qui est davantage liée à la situation socio-économique, à la trajectoire migratoire ou au statut légal des personnes. S’il est vrai que la population migrante est très loin de former une entité homogène en termes de statut socio-économique, certaines positions du bas de l’échelle sociale et professionnelle sont presque exclusivement occupées par des migrants. Par conséquent, leurs conditions de vie se distinguent à bien des égards de celles de la « classe moyenne », dont sont issus la plupart des concepteurs de programmes de PPS, comme le résume de manière un peu schématique un responsable cantonal. Des personnes qui ont une activité professionnelle non sédentaire (construction, nettoyage, restauration) n’éprouvent pas forcément le besoin de faire du sport à midi ou en rentrant du travail. De nombreux exemples de situation ont été évoqués où les contraintes économiques et familiales empêchent les migrants à accorder à la PPS la place qu’elle mériterait dans leur vie quotidienne. Sans aller jusqu’à postuler que la malbouffe constitue pour les classes populaires « un domaine de liberté résiduel, où ils ont la possibilité d’exprimer leur refus à l’égard d’un surcroît de contraintes, par exemple celles imposées par les impératifs diététiques » (Régnier et Masullo 2009), il est particulièrement important d’être attentif à la dimension socio-économique du public-cible, comme le sont déjà certains projets destinés à des personnes défavorisées. Pour relever ce défi, plusieurs interlocuteurs préconisent une approche participative qui est aussi régulièrement recommandée dans la littérature. A cet égard, plusieurs interprètes socioculturels du domaine de la santé se disent déçus que les responsables ne fassent pas appel à eux dès la conception des programmes et que leur contribution se limite, la plupart du temps, à la traduction ou à l’intervention en situation de crise. Faute de fonds disponibles, la collaboration avec ces personnes ou d’autres représentants des collectivités migrantes s’effectue de manière peu systématique et sur le registre du bénévolat. En ce qui concerne la collaboration avec d’autres domaines d’intervention et notamment avec celui de l’intégration, la plupart des responsables et intervenants interrogés estiment que l’entente entre les acteurs institutionnels est bonne, mais reconnaissent qu’en général, ils travaillent chacun de leur côté. Les actions menées en commun ne sont ainsi opérées que de manière très ponctuelle. Les causes avancées pour expliquer cette difficulté à collaborer dans la continuité concernent principalement le manque de moyens financiers et de temps. Ainsi, selon certains intervenants de PPS, ces entreprises communes dépendent bien souvent de quelques initiatives individuelles rarement formalisées.

Durée du projet

02.08.2011 – 31.05.2012

Personne(s) de contact

Annick Rywalski

Adresse internet

http://www.fr.ch/ssp/fr/pub/prevention/projets/...

Extension

Régional

Statut du projet

Terminé

Type de projet

Projet de recherche

Groupes cibles: sexe

Les deux sexes

Groupes cibles

Migrant-e-s

Settings

Démarche non située au niveau du setting

Points forts thématiques

Alcool, Exercice physique, Drogues illégales, Alimentation, Santé psychique, Santé physique, Tabagisme, Autre thème

Langues

Français

Dernière modification: lundi 27 mai 2013 13:09